Les leçons des inondations de juin 2016
Les fortes précipitations qui ont transformé de paisibles rivières du centre de la France en torrents déchaînés laissent en mémoire des images de désolation encore bien présentes dans les esprits. Le val de Tours restant en marge de l’onde dévastatrice s’en sort avec une grosse frayeur, quelques centaines de sinistrés et d’évacués, des dégâts matériels conséquents. Cet épisode, de fréquence décennale, vient opportunément rappeler aux habitants du Val de Tours démobilisés par plus d’un siècle et demi de calme ligérien qu’ils vivent en zone inondable et qu’ils peuvent connaître bien pire demain. Parallèlement, le cent-cinquantenaire de l’inondation de fin septembre 1866 vient réveiller les consciences. L’alerte peut également se révéler salvatrice si l’on en tire rapidement les leçons. Elle arrive comme un révélateur à l’égard de citoyens désinformés, incrédules, et difficiles à mobiliser sur trois dossiers fondamentaux pour leur sécurité, celle de leurs biens, ainsi que pour leur qualité de vie : la révision du Plan de Prévention des Risques d’Inondation (PPRI), l’établissement d’une Stratégie Locale de Gestion du Risque Inondation (SLGRI), le lancement d’un Atelier National « Territoires en mutation exposés aux risques » sur la commune de Saint Pierre des Corps, dont les composantes hydrologiques font peser de graves menaces sur tout le reste du val. Une alerte imprévue mais pas imprévisible Cette crue tombe à pic pour rappeler à nos responsables une dure réalité : alors que la réglementation européenne (2007) impose aux Etats de se fixer comme objectif la maîtrise de crues centennales (dite de fréquence moyenne), le Val de Tours a les pires difficultés pour faire face posément à une crue de fréquence décennale. Et ceci en dépit de nombreuses études récentes dont une lourde Etude de Danger des digues qui a mobilisé pendant plusieurs années des moyens et des compétences exceptionnelles. Face à l’alerte, les modélisations les plus performantes imaginées par nos ingénieurs n’ont été que de piètre utilité pour ceux qui avaient la responsabilité de gérer cet évènement inattendu. L’absence de grande inondation depuis 150 ans dans le Val de Tours a conduit à créer un sentiment de sécurité, voire de déni de la menace. Les Tourangeaux considéraient leur Val comme un périmètre sanctuarisé par un solide endiguement, renforcé d’années en années. L’alerte de juin vient remettre en cause cette vision optimiste. Rappelons que le Val de Tours est considéré par la nouvelle réglementation européenne comme un Territoire à Risques Importants (TRI) parmi les plus exposés de tout le bassin de Loire, avec les enjeux les plus considérables. Pour beaucoup de spécialistes, il s’agit même du tronçon le plus névralgique du fleuve, et aux enjeux les plus considérables. Ce Val forme en effet un bassin de réception de nombreux écoulements d’origines très diversifiées. Une consultation des nombreux travaux géographiques suffirait à relativiser la fuite en avant dans les modélisations et simulations numériques. Le géographe potamologue (spécialiste des inondations) M. Pardé se disait incapable de ranger la Loire dans une typologie hydrologique. Il constatait « le caractère imprévisible de ces grandes crues et comme trompeuse la recherche de moyennes et leur fréquence […] Son bassin enregistre et répercute les effets des mille combinaisons possibles de trois domaines météorologiques, atlantique, continental, méditerranéen, en conflit permanent. ». Un autre universitaire R. Dion a produit au milieu du siècle dernier (1961) une lumineuse « Histoire des levées de Loire » qui apporte un éclairage irremplaçable sur les politiques d’endiguement expérimentées dans le Val de Tours depuis des siècles. De nombreux autres spécialistes se sont intéressés à cette partie du val, notamment Y. Babonaux, Ph. Garnier, C. A. Schule. Leurs travaux sont ignorés par l’Etude de Dangers de 2013. Faut-il y voir une nouvelle illustration d’un mépris de la haute administration française pour les universitaires ? Ces chercheurs nous apprennent que le « dernier fleuve sauvage d’Europe » reste indomptable en dépit de tous les aménagements qui l’entravent : endiguements, déversoirs, barrages… La complexité des apports déterminant le débit du fleuve explique l’amplitude des écarts qui peuvent varier de 1 à 100 dans Val de Tours : 50 m3 à l’étiage, plus de 5000 m3 lors des inondations les plus importantes. Par ailleurs, les crues se répartissent sur toute l’année sauf en juillet-août, 1856 en juin, 1866 en septembre… L’alimentation peut être de cinétique lente et déterminer des crues attendues ; mais également de cinétique rapide et surprendre en quelques heures. Les inondations les plus redoutables viennent de la conjonction entre fortes précipitations cévenoles et océaniques, mais quelquefois des seuls affluents locaux (Cher, Indre, Vienne) capables à eux seuls de doubler le débit du fleuve entre Montlouis et Saumur, voire de provoquer des « inondations de remous » venues de l’aval. **** [document DREAL 2016] Un épisode pas si rare De nombreux observateurs ont été surpris par la localisation et le calendrier inhabituels de ces inondations de juin. L’analyse des enchaînements précédents une crise majeure démontre pourtant que les crues exceptionnelles sont souvent la résultante d’un épisode pluvieux relativement circonscrit qui survient à la suite d’une série suffisamment longue pour saturer le bassin. L’apport marginal déterminant la catastrophe se concentre sur un périmètre réduit, quelques départements tout au plus. Celle de 1856 résultait de cumuls de précipitations à l’Ouest du Morvan et Bourbonnais, celle terrible de Brive Charensac (huit morts) en septembre 1980 d’une accumulation sans précédent de pluies orageuses sur la seule Haute Loire, l’alerte de 1982 de précipitations concentrées sur le sud du bassin parisien, menaçant de surverse les digues entre Langeais et Saumur. On comprend mieux ainsi la difficulté d’une maîtrise hydrologique de ce grand bassin fluvial. L’alerte de juin dernier peut être analysée avec précision grâce à la cartographie des cumuls de précipitations cartographiée par Météo France et par le suivi de l’onde de crue grâce à Vigicrue. Elle illustre parfaitement ce processus. A l’issue d’un printemps humide, un système dépressionnaire statique a copieusement arrosé la Sologne, le Gâtinais, sur le Loiret et l’Yonne. D’où des débits record sur le Loing, l’Ouanne, l’Yonne déterminant une forte crue de la Seine. Les rivières solognotes ont également connu un épisode exceptionnel avec brutale montée des eaux de la Loire à l’aval d’Orléans et du Cher sur le haut de son bassin versant. Parmi les autres affluents de Loire moyenne impactant le Val de Tours, seul l’Indre a connu une crue sérieuse, de retour 40 à 50 ans, suralimentée par les drainages des terres agricoles, tout en restant loin des niveaux historiques de 1982 ou 1770. Les ondes de crue de la Loire et du Cher, suivies grâce aux limnigraphes, ont été amorties rapidement en migrant vers l’aval. Les hauteurs et débits maximum relevés à Tours (pont St Sauveur sur le Cher, pont Mirabeau sur la Loire) jaugeaient des crues de fréquence décennale sensiblement inférieures à celles de 2001, bien loin des inondations historiques. Pour le Cher la hauteur maximale était de 4,98 m pour un débit de 813 m3 / seconde, éloignés des valeurs de 1940, 1977 ou celle considérée comme référence de juin 1856 avec 1725 m3 / seconde. Si la plaine de la Gloriette et son golf ont été largement submergés, l’avenue Pont-Cher et sa ligne de tramway, ont échappé de peu à la surverse. Pour la Loire la cote était de 3,70 pour un débit nettement inférieur à 4000 m3/ seconde, là aussi loin des valeurs de référence 7,50 m et 6500 m3/s. 5 juin 2016, maximum de la crue, la route de Savonnières, plaine de la Gloriette, au droit des Ets Berthault, est inondée. Juste en face, des travaux de remblai en zone inondable, pourtant interdits, se poursuivent L’alerte Inondation de juin sur le Val de Tours n’a donc rien d’exceptionnel. La crue de Loire dans le traversée de Tours n’a présenté aucune menace particulière ; il n’a même pas été question d’évacuer les quelques centaines d’habitants de la grande île Aucard, pourtant localisés dans le lit mineur du fleuve. Bien que plus sérieuse, la crue du Cher peut se reproduire à tout moment, voire deux fois l’an comme en 1982. Il convient cependant d’éviter toute généralisation simpliste. Les écoulements dépendent des particularités de chaque bassin versant. Ainsi, ceux du Cher sont bien connus grâce aux travaux de Ph. Garnier. Ils sont caractérisés par une hydrographie et une alimentation concentrée sur l’amont, l’absence d’affluent notable en aval de Saint Aignan, l’élargissement spectaculaire du lit majeur dans son cours aval et par les 14 barrages à aiguille. De ce fait, le transfert des crues vers la confluence s’effectue lentement. D’où l’interminable attente des cotes maximales au pont Saint Sauveur début juin. Sur ses affluents, des rivières plus courtes comme la Sauldre, l’Yèvre, l’Auron, les écoulements sont beaucoup plus rapides et imprévisibles. Le maire de Romorantin pouvait dire sa surprise face à une crue du Cher vraiment historique… qui à Tours ne l’était plus. Crue centennale là-bas, décennale ici. Les limites de l’Etude de Dangers 2013 C’est en référence aux données fournies par l’étude de dangers que les services de l’Etat ont été amenés, début juin 2016, à prendre un certain nombre de mesures, dont certaines à caractère exceptionnel, comme l’évacuation de 1200 personnes : en bord de Loire, en amont de Montlouis (village de Husseau) et, en bord du Cher, sur les communes proches de la confluence Cher-Loire. Il est permis de s’interroger sur un choix qui a été considéré comme précipité par beaucoup, à commencer par les riverains concernés. Il peut aussi être interprété comme la volonté, défendable, de saisir l’opportunité pour un exercice préparatoire, au centième, à l’évacuation de 130.000 personnes. La volonté de soumettre digues et endiguements à des études de dangers constitue indiscutablement un temps fort dans l’histoire de la prévention du risque Inondation. De tout temps, la digue a représenté l’outil indépassable de protection contre les excès des cours d’eau du monde entier. Dans le Val de Tours, relayant des murailles protectrices plus anciennes, les premiers endiguements en tant que tels remontent à près de 1000 ans. Ces ouvrages sont longtemps restés fragiles, plus ou moins bien entretenus, délaissés pendant les intermèdes de calme fluvial, on était alors bien éloignés des notions de « niveau de sûreté » ou de « niveau de sécurité théorique » issues des réglementations contemporaines. Les Etudes de Dangers permettent d’évaluer la qualité et la résistance des endiguements, mais il s’agit d’une démarche expérimentale, pionnière, qui porte sur une discipline, l’hydrologie, et un fleuve, la Loire, qui se laissent mal réduire à des modélisations. Les concepteurs le reconnaissent eux-mêmes : « la formation des brèches reste un phénomène mal connu. Les calculs hydrauliques actuels ne permettent pas de retrouver les constats faits sur les brèches du XIXème siècle » (J. Maurin, « Etude de Dangers des levées de Tours, 2012 »). Rappelons que le niveau de sûreté de la digue de classe A du Cher du Val de Tours est évaluée à une crue de 1000 m3 / seconde, ce débit correspond à une crue modélisée de retour 40 ans, soit une hauteur d’eau de 5,45 mètres à l’échelle de Tours Pont St Sauveur. Il est certes difficile d’apprécier l’écart entre le niveau de sûreté des ouvrages, c’est-à-dire jusqu’à quelle cote ils sont éprouvés et fiables, et le niveau de protection théorique, en gros la hauteur totale des ouvrages en place. Longtemps, les ingénieurs ne juraient que par la hauteur totale des digues et entreprenaient leur rehaussement après chaque phénomène de surverse, voire sous la menace directe de la catastrophe. Avec les études de dangers, les modélisations écrasent aujourd’hui tous les autres moyens d’évaluation de la résistance des digues (observations directes, topographie, mesures hydrauliques…). Par ailleurs, n’est réalisée à ce jour que l’Etude de Dangers pour les digues de classe A appartenant à l’Etat ou à la ville de Tours. Un long tronçon de la digue de Rochepinard n’est pas classé. La digue Richard Wagner, venant d’être déclassée, n’est plus considérée comme appartenant au système d’endiguement de la ville de Tours. L’Etude de dangers de 2013 aboutit à mettre sur un même niveau toutes les digues quelques soient leur âge, leur structure, donc leur fragilité. Les ouvrages modernes de l’ère Royer, soigneusement imperméabilisés, souvent cimentés, présentent un niveau de sécurité très élevé, équivalent au niveau de protection apparent (hauteur de la digue). Leur résistance n’a rien à voir avec d’anciennes levées de terre ou de sable qui remontent au Moyen-Age. L’Etude de Dangers des digues de classe B appartenant à la ville de Tours ou à l’Etat n’a pas été réalisée à ce jour alors qu’elle devait être achevée légalement au 31 décembre 2014. Celle relevant de la ville de Tours, rive gauche du Cher, n’a été engagée qu’en février 2016. Le PPRI avait été prorogé de 12 mois, de 2015 à 2016, dans l’attente de ses résultats. Les zones d’écoulement préférentiel omettent l’existence des ruisseaux souterrains (Archevêché, Dolve, Ste Anne), pourtant réactivés lors de chaque grande inondation. Une telle désinvolture est difficilement acceptable pour un document servant d’assise à la révision du PPRI. Ces défaillances remettent en cause la crédibilité du PPRI en ce qui concerne les écoulements et l’endiguement du Cher. Les scénarios retenus dans les modélisations reposent sur des cas très discutables. Quel intérêt de retenir des événements de retour cinq centennal ou millénal pour évaluer des risques excessivement exagérés, comme on a pu le vérifier lors des inondations de juin dernier ? Les services de la Préfecture ont eux-mêmes reconnu tardivement que les digues de rive gauche du Cher en aval de Tours avaient un niveau de sûreté nettement inférieur à celle de rive droite. Il en est de même à Husseau, sur la Loire en amont de Montlouis : on peut légitimement s’interroger sur la fiabilité de calcul qui évalue à 70 ans la possibilité de défaillance de digue en amont du Val et qui, dès une crue décennale, menace de flancher. La Loire apaisée ? La dangerosité de la Loire, « dernier fleuve sauvage d’Europe » selon une formule simplificatrice, ne peut pas être sous-estimée. Par sa puissance, sa pente, sa vitesse, elle reste un fleuve redoutable. Cependant, des tendances lourdes semblent montrer qu’elle s’assagirait. La fréquence des crues importantes diminue et, à débit égal, la ligne d’eau s’élève beaucoup moins dans le lit mineur dans la traversée de Tours : Les crues d’amont (de type cévenol) sont plus rares et moins marquées, même si elles restent redoutables (Brive Charensac 1980). Manifestement, la présence du barrage de Villerest permet de stocker des volumes appréciables après le déstockage estival nécessaire au soutien du débit d’étiage. Cette accalmie observée pour les écoulements de Loire s’expliquerait de plusieurs façons : [document « Promenade géologique à Tours » J.-J. Macaire, 2015]] Ce constat ne relève que d’observations sur une durée relativement limitée et ne saurait écarter une occurrence plus dangereuse. Les dernières alertes laissent apparaître des menaces nouvelles venant de crues simultanées d’affluents de rive gauche du Val de Tours (janvier 1982 et, dans une moindre mesure, l’épisode de juin 2016). Une crue de remous remontant du bec du Cher (Villandry) à La Ville aux Dames est un scénario prévisible, compte tenu de la faible pente du Val. Enfin, des phénomènes néo-tectoniques identifiés récemment sont susceptibles d’aboutir à de nouveaux dangers : écoulements déportés vers la rive droite, réactivation d’anciens seuils, déstabilisation des pieds de digue… Le Cher inquiétant… Si les 150 ans écoulés depuis les inondations catastrophiques du XIXème semblent montrer que la Loire s’est assagie, il en va tout autrement de son affluent le Cher. Son bassin a été affecté par de nombreux soubresauts, dont l’alerte de juin constitue le dernier épisode. Son cours aval, dans la traversée de Tours, a fait l’objet depuis 60 ans d’aménagements pharaoniques dont l’impact sur les écoulements reste mal connu, en l’absence de crue sérieuse ayant permis de les éprouver. La crue de juin, quoique modeste, suffit à donner crédit aux inquiétudes manifestées lors de l’enquête publique préalable au chantier du tramway en 2011. Le tracé de cette première ligne franchissait le Cher par un pont critiqué : pour emprunter le lit majeur sur un tronçon fréquemment submergé (avenue Pont-Cher) (1940, 1977, 1982…), par le choix de ses caractéristiques avec un tablier plus bas que les endiguements. Contrairement aux idées reçues, l’hydrologie du Cher est aujourd’hui bien connue. Grâce notamment aux travaux récents du géographe Ph. Garnier (« Le cher, étude hydrologique », thèse d’état, université d’Angers 1993). Ceux-ci fournissent une mine d’informations sur l’ensemble du bassin, néanmoins totalement passée sous silence dans l’Etude de Dangers 2013. On y apprend qu’au milieu du XXème siècle, le Cher a connu une série d’épisodes violents fortement inondant, dépassant largement 1000 m3 / s au niveau de Tours en 1940, 1982, 1988. Le Cher a connu : Pendant toute cette période, les conditions d’écoulement se sont aggravées. Les aménagements réalisés dans la traversée de Tours ont porté le lit de 80 à 200 mètres de large, le Cher a été rescindé, chenalisé, approfondi. Ces travaux préalables au remblai du lit majeur, devaient permettre le passage de la crue de référence, 1725 m3/s en 1856. Ils expliquent en grande partie l’abaissement constaté de la ligne d’eau du Cher dans la traversée de Tours à le fin du XXème. Mais, depuis, des phénomènes d’alluvionnement rapides s’observent avec une remontée des écoulements A débit égal, la hauteur de la ligne d’eau a regagné près de 50 cm en une vingtaine d’années au pont Saint Sauveur : [document Vigicrue]] L’Etat avait demandé des travaux compensatoires préalables au chantier d’artificialisation des Deux Lions : Ces travaux n’ayant pas été réalisés, à débit égal la ligne d’eau est plus élevée et la vitesse d’écoulement plus rapide. Ceci explique les menaces pesant sur les digues aval du Cher, motivant l’évacuation de 1000 personnes sur les communes de Villandry, Vallère, La Chapelle aux Naux. A ce jour, les menaces liées à l’écoulement de cette rivière ont été transférées de la ville de Tours aux communes aval. Il n’est donc pas surprenant qu’une rumeur ait couru, début juin, sur la volonté d’ouvrir des brèches sur ces communes d’aval (La Nouvelle République du 5 juin) pour protéger Tours. Il est également regrettable que la lourde Etude de Dangers 2013 des digues de classe A ne fasse aucunement référence aux importantes études préalables aux travaux d’aménagement lancés à partir de 1960. Une étude réalisée en 1970 par la SOGREAH éclairait sur les caractéristiques souhaitables du Cher chenalisé. Elle fut complétée par une étude hydraulique sur modèle physique réalisée en 1988/89 par EDF LNH de Chatou, pour le compte de la ville de Tours. Cette simulation permettait d’analyser les écoulements afin de sécuriser le projet d’aménagement. Une modélisation mathématique des écoulements en deux dimensions a également été réalisée entre le pont Sanitas et le pont St Sauveur par le groupe INGEROP dans la perspective de la mise en place du nouveau pont tramway. Elle a nécessité de nombreux relevés bathymétriques et topographiques, elle montre que la menace de surverse au-dessus des digues existe en amont du pont St Sauveur (des deux côtés, Deux Lions et Rives du Cher) à partir de débits de 1200 à 1300 m3/s, prouvant, s’il le fallait, que ce pont constitue un dangereux goulot d’étranglement. Cette étude est, elle aussi, ignorée dans l’Etude de Dangers 2013. Le nouveau PPRI submergé ! Pour l’Etat et ses services, l’alerte inondation de juin 2016 ne pouvait tomber à pire moment. Alors que la procédure PPRI était achevée et le document sur le point d’être approuvé, la crue venait en saper les fondements et le discréditer. La longue procédure de révision engagée par arrêté préfectoral de janvier 2012 était motivée par la volonté de l’Etat de durcir l’ancien Plan jugé trop laxiste. Il fallait également y voir le contexte des grandes inondations ayant affecté l’Europe au début des années 2000, la tempête Xynthia , la nouvelle réglementation européenne de 2007 contre les crues... Et, sur place, tenir compte des menaces résultant des aménagements considérables réalisés sur le bassin du Cher aval, dans la traversée de Tours depuis un demi-siècle. Le principe de précaution inscrit dans la Constitution poussait l’Etat à « ouvrir grand le parapluie » face à ce risque majeur. Comme partout, l’établissement de ce document fut marqué par l’antagonisme des relations Etat / élus, voire Etat / populations locales. L’opposition portait non seulement sur le principe même de la révision et ses modalités d’application mais aussi sur une multitude de choix intempestifs, tombant en fin de procédure : mise en cause d’un ouvrage de protection majeur pour le Val de Tours, feuille de route déraisonnable d’un Atelier National initié par les ministères de l’environnement et de la ville, retenant des projets incompatibles avec le PPRI (zonage, cartes…) : déclassement de la digue du Canal, déversoir à Conneuil, tertres en zones inondables. Cet antagonisme résulte d’une volonté de protection maximale virant à la caricature, portée par les services de l’Etat au nom de leur interprétation de la Loi, voire de principes transcendants (« de précaution »). Ceci contre les objectifs de développement économique et urbain, voire d’intérêts locaux défendus par les élus. Cette opposition Etat / élus n’a échappé à personne pendant cet épisode d’inondation. D’un côté, dramatisation excessive de la situation par les services de l’Etat : arrêtés d’évacuation précipités de communes du Val, audio-conférence largement médiatisée avec le Ministère de l’Environnement, points de presse alarmistes. De l’autre côté, la mairie clamait haut et fort qu’il n’y avait « aucun risque sur Tours », que « la situation était sous contrôle ». Le cas de Tours était également aggravé du fait de la « culture locale » où, depuis des années, les citoyens sont tenus à l’écart de tous les grands choix politiques. Les élus, dépassés par la complexité des problèmes hydrologiques et de l’importance des enjeux, se fiaient aux conclusions d’une lourde Etude de Dangers de plus de 3000 pages, tout en multipliant les marchandages inopportuns faisant s’interroger sur la crédibilité du PPRI finalisé. L’Etude de Dangers, composée de 32 pièces aux conclusions souvent divergentes, recourrait à des modèles mathématiques acrobatiques, reposant sur des présupposés scientifiques inaudibles. Ce document a été totalement caché aux élus et aux citoyens. Sans l’entêtement d’une association environnementale résolue, il serait resté confidentiel. Il n’a été rendu public que fin 2015 lorsque la procédure de révision était achevée. La DDT a fait un usage non scientifique de ces modèles et simulations pour effrayer élus et citoyens, relayant ainsi les dérives de l’Atelier National déjà cité, détournant de leur sens les conclusions de l’Etude de Dangers. L’enquête publique était bouclée depuis quelques jours seulement lorsque survint la crue de début juin, venant valider les inquiétudes révélées par l’immense majorité des citoyens et associations (cf. déposition AQUAVIT) lors de cette enquête. L’alerte prouvait le caractère excessivement alarmiste du nouveau PPRI par rapport à celui de 2001. Alors que ce dernier classait en aléa faible la plus grande partie du val inondable, compte tenu de la qualité de l’endiguement, celui de 2016 fait passer tout le val en aléa fort, très fort ou exceptionnel. C’est sur les fondements des conclusions de l’Etude de Dangers que la crue décennale de juin faisait peser une menace d’inondation sur le Val de Tours. Il ne s’agit que d’une fausse alerte, les digues incriminées ont tenu. On n’ose imaginer ce qu’il se serait passé si, comme les services de l’Etat l’ont craint un moment, une digue de la Loire avait flanché à l’amont du val de Tours. Dans cette hypothèse, alors que la digue du Canal venait d’être déclassée et, de ce fait les batardeaux qui la renforcent inutilisables, aurait-il fallu laisser submerger tout le Val de Tours et évacuer ses 130.000 habitants ? L’alerte de juin vient donc démontrer qu’en cas de défaillance d’une digue amont du val de Tours, un ouvrage de second rang n’est pas secondaire, comme on le prétend, mais indispensable. En situation comparable, plusieurs villes du Sud de la France viennent d’ailleurs de décider la construction d’ouvrages de second rang (par exemple Lunel avec le soutien de l’Etat). A l’aval de Tours, la situation a semblé plus critique encore. La fiabilité de l’endiguement du Cher a posé question, en rive droite comme en rive gauche. Compte tenu des niveaux de sécurité, plusieurs tronçons de digue auraient été menacés sur les communes de Villandry et Savonnières notamment. La Préfecture a rapidement reconnu avoir ignoré un détail : le différentiel de cote d’alerte entre les deux rives du Cher (5,47 m côté droite, 4,70 m côté gauche). Des chiffres contradictoires sur le niveau de résistance des ouvrages ont largement amplifié la perception des menaces. Plus inquiétant, et cela a été caché, il semblerait que ce soit le déversoir du Vieux Cher à Villandry qui ait soulevé les pires inquiétudes. D’où la rumeur qui s’est diffusée dans la commune de Villandry, accréditée par la présence de plusieurs militaires du Génie sur place. L’ouverture de ce déversoir aurait été envisagée pour protéger la ville de Tours. Rappelons que ce déversoir, comme celui voisin de la Chapelle aux Naux, est un ouvrage de protection contre les crues de Loire et non du Cher, il n’est appelé à fonctionner que pour des inondations exceptionnelles. Il n’a donc aucune vocation à sécuriser les écoulements du Cher et encore moins à éviter une inondation de la plaine de La Gloriette, voire des Deux Lions, ou de sécuriser le tracé du tramway sur l’Avenue Pont-Cher. Par ailleurs, une étude de la SOGREAH (1990) sur le fonctionnement de ce déversoir-fusible montrait que les cotes de déclenchement de cet ouvrage étaient bien plus élevées que celles relevées début juin. En janvier 1982, son ouverture avait déjà été envisagée pour faire face à une crue inquiétante (5,56 m à Langeais). Au total, qu’il s’agisse des digues ou du déversoir, l’équipement n’a montré aucun signe de défaillance. D’ailleurs, les habitants de Villandry se souviennent qu’en 1977 puis en janvier et décembre 1982, puis en mars 1988, le Cher avait résisté à des débits beaucoup plus importants (936 m3/s en janvier 1982, plus de 1000 m3/s en mars 1988). Face à ces inquiétudes, le Préfet d’Indre et Loire a annoncé que le chantier du PPRI allait « être attaqué plus vite que ce que l’on avait imaginé » (4 juin 2016). Il entendait par là la nécessité d’une nouvelle version du PPRI tenant compte des leçons de juin, après celle promulguée par arrêté préfectoral le 18 juillet 2016. D’ailleurs, et c’est sans doute une première dans l’histoire de la réglementation française, l’urgence de sa réécriture était déjà inscrite dans le texte. La motivation n’échappe à personne : l’arrêté de déclassement de la digue du Canal pris quelque mois plus tôt. Quelle crédibilité juridique peuvent avoir un zonage et un règlement qui prennent en compte un ouvrage fondamental qui aujourd’hui n’existe plus légalement, puisqu’il est déclassé et ne peut plus être batardé ?. La commission d’enquête l’a d’ailleurs reconnu sans ambiguïté : « S’il faut se prémunir d’une rupture brutale de cette installation, sa présence rend conditionnelle l’inondation de Tours, sans cet endiguement, elle devient certaine. » (rapport de la commission d’enquête, page 130). Quant à l’absence des Etudes de Dangers des digues de classe B, c’est « un élément jugé dommageable à la qualité du dossier. Il entraînera à court ou moyen terme une nécessaire modification ou révision de ce PPRI ». Rappelons qu’une prorogation de plus d’un an de la finalisation du PPRI avait été accordée par la Préfecture dans l’attente du résultat de ces Etudes de Dangers, qui auraient dû être achevées avant le 31 décembre 2014. Certaines sont à peine engagées, celles concernant le Cher aval ont démarré en mai 2015 et leur restitution est attendue pour octobre 2016. Celles de Tours, en rive gauche du Cher, viennent de débuter (février 2016) et les résultats sont attendus fin 2017. L’atelier national « Saint Pierre des Corps » et sa feuille de route. La question des inondations a toujours été facteur de divisions entre Saint Pierre des Corps et Tours depuis les grandes crues du milieu XIXème siècle. Chacun en connaît la formulation plaisante : « noyer les prolos de St Pierre pour sauver les bourgeois de Tours » ! Cette vision reste solidement inscrite dans le subconscient collectif des deux villes, et symbolisée par un ouvrage clivant, « la digue du canal », qui longe l’autoroute A10 et marque la frontière entre ces cités. C’est un tout autre scénario revanchard qui vient d’être éprouvé par l’inondation de juin dernier : le programme imaginé par un club d’aménageurs parisiens, l’Atelier National déjà présenté, manifestement peu informés des spécificités hydrologiques du Val de Tours. Avec le déclin du rail et des activités ferroviaires, la ville de St Pierre des Corps périclite depuis plusieurs années et cherche à rebondir en dépit d’un risque d’inondation élevé. Une initiative ministérielle récente semblait lui en fournir une possibilité : l’Atelier National « Saint Pierre des Corps, expérimentation sur les moyens de redynamiser des territoires exposés à des risques majeurs ». Cette ville est en effet particulièrement exposée aux crues de la Loire et du Cher avec les redoutables digues de Conneuil, Montlouis et Rochepinard. Menace amplifiée par l’existence de trois importants sites SEVESO de stockage d’hydrocarbures sur son territoire. Dès l’été 2015 la singulière feuille de route de l’Atelier, au contenu « secret défense » était discrètement mise en chantier. Après son déclassement précipité la digue du canal devait être effacée dans les plus brefs délais. Dans un second temps la digue de Conneuil serait transformée en déversoir susceptible de transférer les eaux de la Loire vers le Cher en cas de crue exceptionnelle. Enfin la digue de rive gauche de la Loire entre Montlouis et Tours serait doublée d’un tertre (remblai en zone inondable) que nos apprentis sorciers projetaient d’urbaniser densément. Cette géniale improvisation permettait de contourner la lourde réglementation cherchant à stopper l’urbanisation en zone inondable… L’Atelier National a pris les commandes pour une « expérimentation » dangereuse [schéma extrait de la « Feuille de route »] C’était sans compter sur la réactivité d’une association de défense de l’environnement curieuse de ce qui se tramait et des sourdes inquiétudes des 17 autres communes du PPRI Val de Tours-Val de Luynes appelées à supporter les nuisances collatérales du projet tout en en assurant le financement. L’alerte de juin 2016 vient d’anéantir les fondements scientifiques de cette entreprise scabreuse. Elle reposait en effet sur un postulat invalidé par cette crue : la possibilité d’exploiter le phénomène de vases communicants entre crues de Loire et du Cher constaté à plusieurs reprises après la réalisation du canal de jonction Loire - Cher en 1827. Celui-ci transférant une partie des eaux d’un lit majeur à l’autre en jouant sur le déphasage chronologique de l’onde de crue maximale. Ce transfert se révélait bénéfique lors de crues modestes mais s’était avéré désastreux déjà en juin 1856. La concomitance d’une crue record de la Loire (6000m3/s) et du Cher (1700m3/s) avait provoqué la pire catastrophe historique de tout le bassin de Loire. Ce même phénomène, largement atténué s’est reproduit début juin 2016, mais avec de nombreuses différences. Le canal de jonction Loire – Cher n’existe plus et de ce fait les transferts de flux ne sont plus possibles. Les crues de la Loire et du Cher étaient infiniment plus modestes. L’onde de crue du Cher, exceptionnelle en amont est arrivée très amortie dans le Val de Tours. Le déversoir de Blois (la Bouillie) a écrêté l’onde de crue de Loire gonflée par ses affluents solognots. Compte tenu des limites de débitance des ponts sur le Cher dans la traversée de Tours (pont du tramway, pont St Sauveur) et des difficultés d’écoulement du Cher aval constatées début juin, cette rivière n’a aucunement la capacité d’absorber un surplus de débit venant de la Loire. Enfin l’idée de transformer une digue en déversoir fusible à l’amont d’un val de 130 000 habitants concentrant des enjeux énormes relève de l’inconscience. Elle avait déjà été abandonnée au milieu du XIXème siècle dans le plan Comoy de défense des inondations par la mise en place de déversoirs écrêteurs transférant une partie des crues vers le lit majeur inhabité (en 1867). Deux sites furent retenus à l’aval de Tours (Vieux Cher à Villandry et la Chapelle aux Naux). Un autre en rive droite de la Loire, celui du val de Cisse. Ce dernier n’a pas été réalisé à cause du refus des Chemins de fer d’Orléans de participer au financement. Il pourrait être réactualisé. Les déversoirs de Villandry et la Chapelle aux Naux, achevés en 1892, n’ont jamais connu de surverse. Nous ne reviendrons pas sur le choix de déclassement et mise en transparence de la digue du canal abordé plus haut admettant la « sortie d’une approche défensive du risque » au profit de principes contestables : « résilience », « apaiser les crues », « accepter l’aléa », « faciliter le chemin de l'eau »… Quelle stratégie pour demain ? Se met en place actuellement la SLGRI à échelle du TRI Val de Tours, intégrant les ouvrages de protection contre les inondations dans une approche globale. Ce document fait l’objet de négociations entre les services déconcentrés de l’Etat et les 18 communes du Val. Le PPRI rappelle que les habitants et leurs associations doivent participer à l’établissement de cette stratégie. Plusieurs réunions préparatoires se sont tenues fin 2015 et en 2016. Associations, Conseils de Vie Locale (CVL) et autres structures citoyennes sont délibérément tenues à l’écart. Il est à craindre que cette absence soit motivée par la volonté de l’Etat d’imposer ses vues, notamment à travers la feuille de route de l’Atelier national « Territoires en mutation exposés aux risques », qui, bien que dépourvu de consistance juridique, tient une place envahissante dans les choix retenus pour le Val de Tours. Les grandes lignes de cette Stratégie sont néanmoins connues et inscrites dans un Plan de gestion qui porte sur l’ensemble du bassin de Loire. Elle s’inspire de l’éthique des Plans Loire Grandeur Nature (1994) et opte pour des moyens de lutte respectueux des équilibres hydrologiques. Les grands chantiers traumatisants (bétonisation du fleuve, barrages…) sont notamment exclus. C’est d’ailleurs l’existence du Plan Loire Grandeur Nature qui a rendu possible l’inscription du val de Loire au Patrimoine Mondial de l’Humanité. Les ouvrages liés à la protection contre les crues constituent un patrimoine architectural et historique remarquable illustrant la notion de paysage culturel ligérien. Quelles leçons tirer de la crue de juin concernant les lignes de force de cette future Stratégie ? [document Météo France] Conclusions
Tours, le 28 septembre 2016
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