Les anciennes voutes présentent de tels suintements. Mai 2013. Cliquez pour agrandir.
Des assises à contrôler
Les travaux de consolidation de toutes les piles après l'effondrement de 1978 sont censés écarter une faiblesse à ce niveau. Depuis, des inspections ont montré des signes de persistance d'évolutions morphodynamiques inquiétantes. "Les enrochements ont tendance à glisser dans le fond des affouillements et à dégarnir le rideau de palplanches" signale le relevé de juillet 1991. Celui de 2005 indique des défauts au niveau du radier de la pile 3, ils "sont à contrôler régulièrement. il faut s'assurer qu'ils n'évoluent pas".
Il y a lieu de s'interroger sur la validité des travaux de 1979, renforçant la solidité des piles. Est-ce que le radier (plate-forme en béton armé reliant les piles) a été calculé et réalisé pour supporter toutes les contraintes ? Sur quoi repose-t-il ? Ne serait-il pas nécessaire d'effectuer des carottages pour déterminer son épaisseur et sa résistance ? Son armaturage et la qualité de son assise sont d'autres facteurs potentiels de fragilité.
Ne conviendrait-il pas de renforcer l'ancrage jusqu'à la roche (craie), d'injecter sous pression du coulis de ciment spécial pour boucher les trous entre les pieux de chêne anciens ? Ce remplissage a probablement été effectué en 1979 sur toutes les piles, mais dans des conditions qu'il conviendrait de contrôler, car selon les critères actuels, elles pourraient ne pas être optimum pour la qualité du béton et de sa mise en place. On verra qu'à Bordeaux des renforcement plus récents n'ont pas été efficients.
Quand la Loire est en basses eaux, on distingue bien le radier qui relie les piles
Des voutes qui n'ont pas été auscultées ni renforcées
L'état des voutes (en dehors des six refaites) est aussi préoccupant, avec un facteur de risque mal connu et pratiquement impossible à bien connaître pour les plus anciennes. Que sait-on, notamment, de la solidité d'un ciment du XVIIIème siècle ? De la qualité des joints ? Il y a là un facteur chronique d'incertitude qui aurait pu être atténué par un diagnostic plus poussé sur la fiabilité des arches en maçonnerie (Cf. ouvrage de J.-M. Delbecq).
Un renforcement, par le dessous, des arches non reconstruites permettrait de renforcer cette partie de l'ouvrage en fonction des objectifs de charge statique et dynamique à atteindre.
Une investigation structurelle rapide et à retardement
Du 23 au 26 novembre 2009 s'est déroulée une "mission d'investigations structurelles" susceptible de lever certaines des interrogations que nous venons de soulever. Il y a d'abord lieu de s'étonner qu'elle ait été effectuée après le choix de faire passer le tramway sur le pont Wilson. En toute logique, l'étude aurait dû précéder la décision. Ensuite, sa courte durée montre ses limites, confirmées par la synthèse montrée dans le permis de construire du 28 octobre 2010, ne portant que sur la composition des voutes. Le champ d'étude de ce "rapport Ginger" était donc très restreint. Aucune autre étude de ce type n'est signalée, il n'y a donc pas eu une analyse approfondie sur la potentialité structurelle du pont Wilson à supporter sur le long terme le passage du tramway. Et celui-ci a des spécificités à prendre en compte.
Un surpoids inédit
Le tramway engendre des équipements supplémentaires (ballast, rechargements de chaussées) qui font que le poids propre est supérieur à ce qu'il était. Certes, au début du siècle, le tramway passait déjà sur le pont, mais, moins long (1 ou 2 voitures) et large, il était bien plus léger. Cet antécédent a probablement joué dans l'acceptation d'y faire passer le nouveau tram.
Une usure concentrée avec vibrations
Le tramway, avec ses rames de 7 voitures, engendre aussi des vibrations, et il est lourd, très lourd pour un ouvrage de cet époque. C'est d'autant plus défavorable que son poids s'applique à chaque passage alors que la circulation routière présente un caractère plus aléatoire, moins "fatiguant". Le poids est concentré et toujours au même endroit.
Ce dernier point est en contradiction avec les déclarations de M. Paroissien le 21 décembre 2012 dans la NR : "Le pont avant les travaux supportait quatre voies de circulation dont 2 voies bus. Les contraintes apportées par le tramway ne sont pas supérieures". Comme on a vu que, contrairement à son autre déclaration du même jour, ce ne sont pas les "hypothèses les plus défavorables" qui ont été prises comme "données d'entrée pour les calculs de résistance". Pourquoi donc le responsable du projet a-t-il énoncé de façon aussi catégorique de telles dissimulations ?.
Début du XXème siècle, le tramway sur le pont de pierre (carte postale)
6) Le pont de pierre de Bordeaux, un précédent ?
- 1995, fermeture totale
Comme l'indique l'article de Wikipédia qui lui est consacré, le pont de pierre de Bordeaux a la particularité d'avoir été élargi de 15 à 20 mètres en 1954. Ce fut bien sûr l'occasion de vérifier la solidité de l'ouvrage. Un article du 5 février 2013 du quotidien Sud-Ouest signale que : "Fin 1995, déjà, les clignotants se sont mis au rouge. La pile 7, l'un de pieds centraux, menaçait de s'écrouler. Le pont a été immédiatement fermé (ce qui ne s'était jamais produit) et la pile a été renforcée en catastrophe. Avec des tonnes et des tonnes de rochers et de cailloux". Les cinq premières piles, jugées comme les plus fragiles, ont été revues. Des fondations avaient pourtant été renforcées en 1993.
- 2013, sous surveillance renforcée
Comme le décrit ce même article du 5 février 2013, le pont de pierre de Bordeaux s'enfonce de nouveau. "L'ouvrage est donc sous haute surveillance. Des capteurs répartis sur l'ensemble de l'ouvrage analysent et transmettent vingt-quatre heures sur vingt-quatre les mouvements du pont. [...] A la moindre alerte, on ferme le pont". Il est envisagé "de réaliser les travaux de consolidation au plus vite. [...] Des études particulièrement difficiles à réaliser". Et le dernier paragraphe : "Et le tram ? Une question rouge sans réponse à ce jour. Des études spécifiques vont devoir être réalisées pour savoir si les rames qui passent très vite sur l'ouvrage pourraient continuer à le faire sans perturber le déroulement du chantier".
- Malgré les précautions, un discours officiel battu en brêche
Parmi les nombreux commentaires de cet article sur le site de Sud-Ouest : "Tram Citadis de Bordeaux / Longueur : 44 mètres, Poids : 84 000 kg... ça vous étonne que le pont s'enfonce...". Il s'agit du Citadis 402, comme à Tours, la ligne a été inaugurée en 2003. Dans un article du sur-lendemain de La Charente Libre, un officiel répond : "En fait, les études précédant le lancement du tram ont montré que le pont pouvait largement supporter le poids des rames". D'autres causes apparaissent certes probables, mais n'y a-t-il pas une conjonction des causes ? Comment adhérer pleinement aux paroles rassurantes des années passées quand elles sont à ce point contredites par les actuels affaissements ? Ce ne sont pourtant pas les précautions qui ont manquées, à commencer par les gros travaux de 1996.
- De plus grandes précautions à Bordeaux qu'à Tours
Cet article du journal Bitume Info de janvier 2012 montre que la volonté d'alléger l'infrastructure du tramway sur le pont de pierre de Bordeaux était appuyée, "pour résoudre un problème de charge". Ah, ce problème existait donc ? Il fallait effectivement "réduire la charge que l'infrastucture tramway fait peser à l'ouvrage". Un véritable défi a même été lancé : "Le défi était de taille, il fallait que la charge globale, comprenant le poids de la structure et la charge induite par le tramway, soit inférieure ou égale à celle du trafic bus et poids lourds habituellement admis sur le pont". Nous ne retrouvons pas la même exigence à Tours : pas de couche légère d'un bitume calculé en laboratoire pour le pont Wilson, mais du béton et des pavés partout, partout...
Il convient toutefois de ne pas pousser la comparaison trop loin, chaque pont a ses spécificités, surtout en maçonnerie, on ne peut pas en tirer des conclusions fermes.
Le pont de pierre de Tours le 11 mai 2013. Il reste des pavés à poser...
7) Précautions sacrifiées, prises, prévues et potentielles
- Un manque de précautions
Comme les ponts de Saumur et de Bordeaux, le pont Wilson, avec son histoire chahutée, est connu pour sa fragilité. Il aurait donc mérité un diagnostic beaucoup plus soigné que celui réalisé, ce qui a amené à négliger des précautions de base (poids de l'infrastructure, du matériel roulant...), et des précautions qui auraient pu être ciblées (renforcer une structure trop fragile...).
Le changement d'orientation constaté fin 2010 et début 2011 (suppression prévue d'une puis deux voies de voitures), semble marquer une certaine prise de conscience. Les atermoiements et retards (et surcoûts) constatés en 2012 dans la phase travaux confirment ces interrogations. Mais le calendrier très serré (date d'inauguration du tram prévue dès l'enquête publique !) interdisait toute possibilité de travaux de renforcement de l'ouvrage.
Les précautions bien plus importantes prises pour le pont de pierre de Bordeaux se sont révéles insuffisantes, ce n'est pas encourageant.
- Comment être prudent et instaurer un principe de précaution ?
Plusieurs facteurs peuvent être pris en compte :
- supprimer une ou deux voies de circulation automobile, cela réduit le poids pesant sur les voutes les plus fragiles. La suppression d'une voie a donc été décidée et le suppression de la seconde est d'ores et déjà envisagée.
- ralentir la vitesse des rames sur le passage du pont, au moins sur les anciennes arches. La vitesse de 40 km/h signalée en mars 2010 va en ce sens. Elle pourrait être diminuée à 30 km/h.
- interdire le croisement des rames sur le pont, au moins sur les anciennes arches. Ce n'est pas d'actualité, mais c'est envisageable.
- réduire le nombre de voitures par rame (cinq, comme dans d'autres villes, au lieu de sept)...
- suivre attentivement et régulièrement l'état du pont. Les problèmes d'étanchéité de l'ouvrage demandent une attention particulière. Le nouveau traitement d'écoulement des eaux pluviales est-il efficace ? Un tel suivi est très probablement prévu, mais est-ce que ça suffira à prévenir un accident ?
- consolider le pont, sur la base d'étude plus poussée ou d'observations inquiétantes.
- Pourquoi avoir supprimé la voie automobile sud-nord et pas l'autre, nord-sud ?
Les dossiers d'enquête de juin 2010 envisageaient de supprimer la voie entrante nord-sud (variante 2), sans qu'il y ait une variante supprimant la voie sud-nord. Le document du 13 janvier 2011 préconise la même chose, avec un argument pertinent ("dans la logique de la réduction de la circulation entrante par l’avenue Maginot"). C'est d'autant plus logique que, d'ordinaire, on donne priorité aux sortants plutôt qu'aux entrants dans les flux d'entrée-sortie, cela permet d'éviter des effets de nasse.
Or patratras, c'est l'autre sens sud-nord qui est brusquement interdit aux voitures fin 2012, et sans explication convaincante. Il y en a pourtant une, celle que l'on ne veut pas avouer, et elle conforte l'hypothèse de fragilité du pont car c'est un principe de prudence ajouté aux précédents. En effet, sachant qu'il y a des feux tricolores aux deux extrémités, l'endroit où les voitures sont les plus nombreuses, et donc les plus lourdes, se situe à leur attente aux feux rouges. Supprimer la voie sud-nord supprime donc du poids sur les arches nord, celles qui sont les plus fragiles.
- Pourquoi envisager de supprimer la seconde voie automobile ?
C'est un des principes de prudence déjà énuméré, cela enlève du poids sur les voutes. C'est prévu depuis au moins janvier 2011.
Il est à noter que transformer cette seconde voie en double piste cyclable permettrait de convertir l'autre voie, actuellement mixte, en promenade seulement piétonne, ce qui donnerait à l'ensemble une pertinence actuellement absente.
- Supprimer complètement la circulation automobile sera-il suffisant ?
Dans le prolongement de la réponse précédente, il est à craindre que ça ne suffise pas, ou pour le moins qu'on ne puisse pas affirmer le contraire, tant l'ancienneté du pont ne permet pas d'avoir des estimations précises.
8) Conclusion et nouveaux questionnements
Nous ne connaissons pas les "Tourangeaux aimant la vérité" qui ont alerté la NR (21 décembre 2012) sur le fait que le pont ne pourrait pas supporter deux voies de tramway et de voitures, ni les ingénieurs en charge du génie civil sur lesquels ils s'appuient. Nous ne savons pas comment ils sont arrivés à cette conclusion, mais nous arrivons à une conclusion similaire, plus interrogative qu'affirmative, reposant sur les documents officiels, avec des arguments tangibles qui sont ici exposés à tous. Notre diagnostic est le fruit d'une réflexion collective approfondie, incluant l'avis de plusieurs ingénieurs spécialisés. Cela ne peut plus être considéré comme une rumeur sans fondement.
La version officielle n'est plus crédible, maintenant que l'on sait que la soi-disant solidité annoncée du pont a été établie sur ses voutes récentes en béton, maintenant que nous disposons d'un réseau d'indices concordants pour estimer qu'il y a des doutes sérieux sur la solidité d'un vieil ouvrage qui n'a pas du tout été construit pour supporter le passage de deux voies d'un tramway moderne.
Cela amène à se poser de nouvelles questions :
- La demande de permis de construire du 16 novembre 2010 peut-elle être considérée comme valable ? En effet, n'y a-t-il pas eu malhonnêteté à vouloir valider la solidité des voutes en se basant sur les plus solides et sur une moyenne, pour un poids de rame largement minimisé ?
- Quels contrôles ont été effectués pour valider une telle démonstration à l'évidence erronés ? N'y a-t-il pas lieu de les remettre en cause ?
- Si cette fragilité du pont Wilson avait été correctement anticipée, un autre tracé aurait-il été choisi ? Ou le pont aurait-il été renforcé ?
- La suppression d'une voie automobile ne remet-elle pas en cause toute la dynamique des transports établie précédemment ? En particulier, le parking Anatole France jouera-t-il encore le rôle qui lui était dévolu ?
- Ne convient-il pas de remettre en cause la DUP sur ce point critique pour qu'une étude approfondie soit menée afin de répondre aux questions qui suivent ?
- Peut-on prévoir les conséquences à terme de la circulation agressive du tramway ?
- Quelles mesures permettent de réduire les facteurs de risque ?
- A terme, l'état du pont peut-il se dégrader au point de remettre en cause le tracé du tramway ?
- En résumé, le pont Wilson est-il vraiment apte à supporter durablement les passages de tramway ?
Tout cela requiert une transparence qui jusqu'à présent n'a pas été de mise. C'est pourtant ce que nous souhaitons en premier lieu. La publication de ce dossier va en ce sens. Nous allons le transmettre au Laboratoire Central des Ponts & Chaussées (devenu IFSTTAR) pour avis.
Avril 1978 effondrement et août 1981 reconstruction d'une voute en béton
9) Compléments
Voici quelques éléments nouveaux postérieurs à la publication de ce dossier le 27 mai 2013.
- 14 juin 2013 : La nouvelle configuration du pont Wilson est inaugurée, pour une reprise de la circulation automobile le lendemain. Le même jour la NR publie un article sur la présente étude de l'AQUAVIT. Il est suivi d'un commentaire d'un lecteur averti. Nous avons eu la surprise de constater que la configuration finale n'est pas conforme à la la modification du permis de construire du 19 février 2013. A quoi servait donc la validation par la commission des sites ? En effet, le pont devait être entièrement pavé (cf. cette page et la "perspective" présentée en fin de chapitre 2), il ne l'est pas, la voie automobile est bitumée. Aucune explication officielle n'a été fournie à cette entorse à un document officiel. D'un côté, il est rassurant de constater qu'une précaution supplémentaire a été prise pour alléger le poids de l'infrastructure, d'un autre côté le déni des problèmes ici présentés semble persister.
18 juin 2013, le tramway à l'essai. La circulation automobile est rétablie sur une voie qui n'est pas pavée
comme il était prévu dans la demande de modification du permis de construire.
Novembre 2013. A gauche une ancienne arche, à droite une arche reconstruite en 1981
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