L'inondation du val de Tours fait partie des trois catastrophes naturelles les plus redoutées en France (avec une crue de Paris type 1910 et un tremblement de terre sur la côte d'azur). D'où l'importance fondamentale de la révision du PPRI actuellement soumise à concertation.
Elle appelle de notre part un certain nombre d'observations. Celles-ci portent sur le degré d’aléa retenu par ce document, sur ses implications en matière de cartographie du risque et du règlement et sur la crédibilité même de cette révision aux enjeux considérables.
- Un nouveau PPRI exagérément alarmiste
Alors qu’après les grandes crues du XIXème siècle, les aménagements destinés à protéger les populations du val s’étaient multipliés, le PPRI de 2001 admettait que le cœur de l’agglomération tourangelle, totalement endigué, était pratiquement sanctuarisé. L’arrêté préfectoral relatif à l’information des acquéreurs et locataires de biens immobiliers sur les risques d’inondation (2012) rappelle que pour « le centre-ville de Tours, entre Vieux Tours au Nord, Rives du Cher au Sud, Digue du canal à l’Est, et La Riche à l’Ouest, il a été estimé dans le PPRI que la probabilité d’une inondation « type 1856 » était faible, du fait de la présence de l’ancienne digue du Canal, qui constitue une protection efficace ». Cela explique un classement de ce périmètre en aléa faible, malgré des hauteurs de submersion maximales pouvant atteindre 4 mètres. Le retour d’une inondation « de type 1856 » est estimé à 170 ans. La protection théorique du cœur métropolitain de l'agglomération est évaluée à un retour de 5 siècles.
Afin de tenir compte de nouvelles études, le préfet d’Indre et Loire a présenté en 2012 un arrêté de révision du PPRI de 2001. Cette décision est motivée par une connaissance plus précise de la hauteur prévisible des crues, par le résultat de modélisations des crues de la Loire et du Cher et la prise en compte d’aléas spécifiques, ruptures de digues, vitesses d’écoulement, négligées jusqu’alors. Sur ces bases, l’Etat a rehaussé de façon significative les niveaux d’aléas dans le cadre de cette révision du PPRI. La nouvelle cartographie des zones inondables du centre-ville de Tours et plus généralement du val de Tours – val de Luynes s’avère ainsi particulièrement alarmiste. Près de la moitié du val de Tours devient classé en aléa très fort, en sur-aléa pour les zones de dissipation d’énergie (ZDE) résultant de la rupture des digues, en zones d’écoulement préférentiel particulièrement exposées (voir cartographie simplifiée de ce zonage dans La Nouvelle République du 18 février 2016).
Pire encore, estimant qu’elle est « inutile et dangereuse », l’Etat a pris le risque de déclasser la digue du Canal, alors qu’il la considérait jusqu’ici, comme un élément majeur de protection du val de Tours – val de Luynes. Nous verrons que ce n’est qu’un prétexte ne reposant sur aucune analyse convaincante.
« Une fois le déclassement effectif, la mise en transparence de cet obstacle (devenu un remblai en zone inondable) devra être recherchée et rendue opérationnel par tous les moyens, de manière totale ou partielle. Les effets de cette mise en transparence sur le risque de rupture de l’ouvrage seront modélisés et analysés dans une étude hydraulique » (avant-projet, page 68) : on met en transparence d’abord, on en analyse l’impact ensuite : conception singulière et peu rassurante d’un plan censé protéger les gens !
Il faut savoir que ce sont de basses motivations économiques qui ont déterminé ce déclassement : création d’une bretelle d’autoroute vers les Atlantes / Ikéa, ouverture de nouveaux passages dans la digue, développement d’activités sou l’autoroute, volonté de réhabilitation immobilière pour respecter les nouvelles normes du PPRI… Tout ceci au détriment de ce qui était la fonction même de l’ouvrage : la protection des citoyens et de leurs biens. Ce choix de déclassement d’une composante majeure du système d’endiguement du val de Tours a des implications considérables : en cas de défaillance d’une digue à l’amont du périmètre PPRI (Conneuil, Montlouis...), de retour assez fréquent -70 ans- c’est tout le val qui serait inondé, exposant plus de 130 000 personnes à la catastrophe. Ainsi s’explique l’option d’un PPRI beaucoup plus contraignant que celui de 2001.
Tout cela interroge alors que depuis plus de 150 ans cette digue n’avait cessé d’être renforcée et était considérée comme fiable, de ce fait classée A en 2009. Par ailleurs, la multiplication des aménagements, tant sur l’ensemble du bassin de Loire que localement, laissait penser que la probabilité de crues de type 1856 dans la traversée de l’agglomération était fortement réduite :
- des investissements lourds de confortement des digues en amont de Tours ont été réalisés ou sont programmés,
- un certain nombre de déversoirs sont aujourd’hui opérationnels et permettent d’écrêter les crues les plus dangereuses,
- la gestion des barrages d'amont, notamment Villerest, permet de réduire de 50 cm l’apport des crues cévenoles en Loire Moyenne,
- l’enfoncement du lit de la Loire (près de 3 mètres à Tours entre 1856 et 1980) lié notamment aux prélèvements massifs de granulats dans le lit mineur au XXème siècle.
Ceci faisait admettre à l’Etat, à nos édiles (Jean Royer, Jean Germain), que la pire crue connue de l’histoire contemporaine (1856) traverserait probablement le val de Tours sans trop de dommages. Le risque, bien réel lui, résulterait d’une brèche en amont de l’agglomération (Conneuil…), mais dans ce cas d’espèce, la digue de Canal serait sans doute salvatrice, comme elle l’a démontré en 1866. Une inondation du val par le Cher n’est pas non plus à exclure compte-tenu des aménagements considérables engagés depuis un demi- siècle (Rives du Cher, Deux-Lions) et qui à ce jour n’ont pas été éprouvés par une crue sérieuse. L’hypothèse d’une inondation par l’aval (« remous ») n’est pas exclue. La dernière inondation sérieuse qui ait menacé le val de Tours, en janvier 1982, était de ce type. Jean Royer avait par la suite fait programmer la construction d'une digue transversale à Saint Genouph dans le SDAUT de 1993, pas réalisée à ce jour.
- PPRI : un nouveau règlement drastique
Refusant de suivre les conclusions de l'étude de dangers de 2013, l’administration, guidée par une interprétation tendancieuse d'un Atelier National, a opté pour la mise en transparence de la digue du Canal, tout en établissant une cartographie de l’aléa s’appuyant sur son existence en l’état.
Cette décision n’a pas manqué de soulever de vives réactions lors des réunions publiques programmées dans le cadre de la seconde phase de concertation sur l’avant-projet. Plus récemment encore, le mécontentement s’est concrétisé lors des réunions des conseils municipaux des 18 communes concernées appelées à se prononcer sur ce texte. Les élus se rendent enfin compte des implications concrètes du PPRI traduites au niveau du règlement. Celui-ci devient particulièrement contraignant dans les règles d’urbanisme et de construction.
Concernant les communes de l’Ouest du val, les élus se sont enfin inquiétés des interdictions qui en résultent. Par exemple, le développement du Géant – Casino de la Riche ne pourra pas s’agrandir (N.B. : à la différence des Atlantes et d’Ikéa qui vont bientôt bénéficier d’une nouvelle desserte). Autre exemple, la station d’épuration de Savonnières devra remonter sur le coteau.
A St Pierre des Corps, lors du conseil municipal portant sur le PPRI, la sénatrice-maire a fait part de ses plus grandes réserves. Des demandes de dérogation permettant d’implanter de nouveaux équipements ont déjà été déposées. Le déclassement de la digue du canal ne change rien aux contraintes puisque, pour cette commune, c’est l’exposition à la digue de Conneuil qui fait plus précisément problème. L’étude de dangers des experts a d’ailleurs démontré que la digue du canal protégeait la ville de St Pierre et ses sites Sévéso en cas d’inondation par l’aval, alors que la commune de Tours serait submergée.
Lors du dernier conseil municipal de Tours, également consacré à l’examen de l’avant-projet, les élus mesurent enfin les résultats de leur inconséquence. Le déclassement de la digue va se traduire par des contraintes inattendues limitant les possibilités d’urbanisation et de construction. La ville de Tours réclame, elle aussi, des aménagements, des modifications de la cartographie du risque, des assouplissements du règlement. Il est bien tard pour se rendre compte que le Parc des Expositions de Rochepinard et Ikéa se localisent en zone d’aléa très fort (ZDE, écoulement préférentiel, expansion des crues). Les élus découvrent que sur la place St Paul et même sur l’îlot Vinci, les constructions sont strictement réglementées et l’implantation de parkings souterrains interdite.
Nous ne nous attarderons pas sur les conséquences au moins aussi redoutables de ce nouveau PPRI pour la majorité des Tourangeaux résidant dans le val inondable de Tours. La plupart d’entre eux seront impactés par ce document d’urbanisme s’imposant au PLU. Des implications sévères sont à attendre en matière de bâti, de possibilités d’aménagement, de valeur de leur patrimoine…. Les citoyens sont sous-informés, aux prises avec des documents cartographiques ou réglementaires abscons. Et pour ceux aptes à formuler des critiques, leur avis est méprisé : on ne peut tout de même pas remettre en cause l’avis des experts en hydrologie ou études de dangers, même s'il est mal interprété…
Il est donc permis de s’interroger sur la nécessité de réviser le PPRI de 2001 pour le remplacer par un nouveau document beaucoup moins protecteur et plus contraignant que le précédent. Manifestement, l’Etat cherche à se désengager d’une de ses fonctions régaliennes en transférant aux intercommunalités à fonds propres la gestion de ce risque majeur.
- Un avant-projet entaché de nombreuses défaillances
Une assise scientifique fragile
L’étude de dangers de 2013 qui sous-tend ce PPRI résulte d’une mobilisation d’investissements et de talents considérables. Ce travail a fourni une masse d’informations exceptionnelle en matière d’hydrologie et de connaissance des crues Mais les scientifiques reconnaissent eux-mêmes les limites de leur exercice, qu’ils considèrent comme encore expérimental. Ainsi, les savantes simulations réalisées ne permettent pas de localiser les brèches historiques recensées par ailleurs. Le cas du val de Tours est particulièrement révélateur : dans l’incapacité de cibler les brèches probables avec précision, les zones de dissipation d’énergie serpentent derrière chaque digue, ce qui étend artificiellement les zones exposées.
Et, lorsque l’étude se risque à la prospection, les résultats se révèlent très aléatoires. Peut-on admettre qu’un plan de protection aux risques majeurs aussi déterminant repose sur des bases scientifiques aussi fragiles ?
Une précipitation inquiétante
Le délai de finalisation de la révision du PPRI a été prorogé dans l’attente des résultats d’études de dangers complémentaires, notamment sur les digues de classe B (en rive gauche du Cher par exemple), que l’on attend toujours.
Par ailleurs il est inadmissible qu’une composante majeure du système de défense du val contre les inondations soit remise en cause en plein milieu de la procédure. La cartographie de l’aléa PPRI étant établie sur la base de la prise en compte de la digue du Canal, elle est rendue caduque par ce déclassement intempestif. On sait donc à l’avance que le document en voie de finalisation est déjà périmé et sa modification imminente est même prévue.
Se pose également le problème de l’emboîtement chronologique des documents de protection des risques d’inondation. Un plan de gestion des risques d’inondation (PGRI) du bassin de Loire-Bretagne couvrant la période 2016-2021 vient d’être adopté. Il propose une stratégie portant sur l’ensemble du bassin de la Loire. Des objectifs et des outils de gestion sont prévus à cette échelle ; ils intègrent l’ensemble des ouvrages de protection contre les inondations dans une approche globale (digues, déversoirs, barrages..)
Au niveau des Territoires à Risques Importants (TRI), le val de Tours – Val de Luynes doit se doter d’une Stratégie Locale de Gestion du Risque d’Inondation (SLGRI) qui se propose de gérer le risque à une échelle de réflexion allant au-delà du périmètre PPRI. Or la préparation de ce document débute à peine ! La SLGRI prévoit de fiabiliser le système d’endiguement protégeant le cœur métropolitain de l’agglomération, d’examiner l’opportunité d’implanter de nouveaux dispositifs de type déversoir, de ralentir l’arrivée des eaux sur l’agglomération de Tours en son amont, notamment le val de Cisse, de préciser la fonction de la digue du Canal…
Est-il opportun de finaliser dans l’urgence un PPRI avant d’avoir examiné ces questions fondamentales ? Pour une des problématiques majeures du PPRI val de Tours - l’avenir de la digue du Canal - c’est dans le cadre de la SLGRI qu’elle doit être examinée. Et non être réglée par un arrêté préfectoral de déclassement arbitraire. « Les PPRI sont compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions du Plan de Gestion des Risques d’Inondation » dont les Stratégies Locales découlent.
Une nouvelle règlementation ignorée
Depuis 2015, une nouvelle règlementation concernant les digues s’applique. C’est désormais l’Etablissement Public de Coopération Intercommunal à Fonds Propres (EPCI-FP) qui dispose de la compétence en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations qui définit le système d’endiguement (décret 2015-126). Le classement des digues issu d’un autre décret (2007-1735) reste valable tant que l’EPCI-FP n’a pas déposé une demande d’autorisation de classement validé par arrêté préfectoral. Cette demande doit être validée avant fin 2019. Ces textes transfèrent donc aux intercommunalités (Tour(s) Plus) la gestion des digues. Il est bien sûr permis de s’interroger sur les capacités de financer cette compétence, évaluées à 200 millions d’Euros pour renforcer l’endiguement sur les levées de Tours.
C'est même plus fondamentalement la question préalable de constitutionnalité de cette nouvelle compétence qui se pose. L'Etat peut-il se désengager de l'une de ses fonctions régaliennes (sécurité des citoyens) avec autant de désinvolture ?
Un déclassement arbitraire
L’avant-projet de PPRI intègre la décision de déclasser la digue du Canal. L’équipe scientifique de l’AQUAVIT a évalué les éléments de l’étude de dangers de 2013 concernant cet ouvrage. Elle en conclut, dans une explication publique (aquavit37.fr/2015digue/rapport2.html), que l’ouvrage est « utile et protecteur » et reconnu comme tel lors de la dernière inspection par les services de l'Etat en 2011. Comment se fait-il que, sur les mêmes bases, en 2014, sans la moindre explication, un Atelier National convoqué par le ministère de l’Environnement, ait conclu que l’ouvrage est « inutile et dangereux » ? Et comment se fait-il que ce soit sur la foi de l’affirmation péremptoire de cet atelier que l’arrêté préfectoral et l’avant-projet condamnent la digue du Canal ? En ignorant même les conclusions prudentes de l’étude de 2013 ! Les hydrologues s'estimant incapables de trancher entre déclassement et renforcement demandaient des études complémentaires.
Les implications de ce choix sont redoutables, les risques d’inondations en sont lourdement aggravés. Alors qu’un nouveau PPRI est censé renforcer la protection des citoyens et de leurs biens, l’avant-projet que l’on nous propose aboutit au résultat inverse : il se révèle moins protecteur et plus contraignant que celui de 2001 !
En conséquence, nous demandons à M. le Préfet d’Indre et Loire de proroger le délai de finalisation de la révision du PPRI (25 juillet 2016). Et d’annuler le déclassement de la digue du Canal, qui conditionne la validité de la cartographie et du règlement y afférant. Cela permettrait de disposer de la totalité des études en cours (sur le Cher…) et d’engager une véritable concertation permettant de redonner la priorité à la préservation de la sécurité des biens et des personnes. Et cela éviterait à l’administration de se discréditer en validant un PPRI dont la nécessaire modification est déjà inscrite dans le texte.
François Louault, président de l'AQUAVIT, le 12 mars 2016
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