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Sous César, la Loire était déjà le grand fleuve que nous connaissons : irrégulier et impétueux. Souvent, lors des crues, elle changeait de lit, mettant en danger habitations et cultures et posant de graves problèmes pour la circulation fluviale. C'est en 821 que Hugues I er et Robert Ier, suivant la résolution de Charlemagne et de son fils Louis le Débonnaire, portèrent leurs soins dans la construction de levées ou turcies, afin de contrôler les eaux du fleuve. Les premières levées furent destinées à l'agriculture permanente : les seigneurs installèrent des paysans nommés "Hôtes", qui devaient en plus des travaux des champs entretenir les digues. Sous le règne de Saint-Louis (1226-1270), apparurent les premières corporations ligériennes pour défendre les droits des mariniers et des marchands, ceux-ci devenant de plus en plus nombreux. De plus grandes levées furent construites en Anjou au XIIème siècle et l'uniformisation d'Orléans à l'Anjou se fit sous le règne de Louis XIV, par Colbert. De grandes restaurations se firent également sous Napoléon III et la IIIème République. Ces digues favorisaient la navigation, l'expansion du commerce. Mais, en contre coup, les digues rendirent les crues de plus en plus nombreuses et surtout de plus en plus dangereuses, car le lit du fleuve ainsi resserré ne pouvait plus contenir une très grande quantité d'eau. De plus, la Loire rehausse son lit entre les digues. Elle transporte en effet de grandes quantités de sable et de limons qui se déposent au fond du lit au lieu de se disperser dans toute la vallée comme auparavant. Colbert fut obligé de porter la hauteur des digues à 5,50 mètres au-dessus de l'étiage et, au XVIII ème siècle, on les porta à 7 mètres. Ces travaux n'empêchèrent pas les cinq grandes inondations dues aux crues, au XIXème siècle (la crue centenaire !...). [...] D'autres travaux furent exécutés pour régulariser le cours de ce fleuve. Au XVIIIème siècle, Monsieur de Choiseul fit construire des digues au milieu du fleuve. Ces digues avaient pour effet de concentrer en été toute l'eau dans un seul chenal pour permettre la navigation à n'importe quelle époque de l'année. Ceci explique les grands bras morts que l'on voit l'été tout au long de la Loire. Nous pouvons voir le pavage de ces digues sur les bords de certaines îles, face à Rochecorbon. [Extrait de Monographie de Rochecorbon, Robert Blondel 1976] |
"Le fougueux tempérament du géographe potamologue Maurice Pardé s’irritait de ne pouvoir ranger la Loire dans aucune typologie hydrologique, voyant comme « un cas navrant », « une bizarrerie », l’imprévisibilité de ses grandes crues et comme « trompeuse » la recherche de moyennes de leurs fréquence." "Les excès de la Loire échappent à toute périodicité, parce qu’ils n’obéissent climatiquement à aucun schéma cyclique déterminé, comme d’autres fleuves, par exemple tropicaux, réglés sur les saisons comme des horloges. Comment en serait-il autrement quand, par sa dimension et surtout par sa situation, son bassin enregistre et répercute les effets des mille combinaisons possibles de trois domaines météorologiques, atlantique, continental et méditerranéen, en conflit permanent ?" |
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Ci-contre repères sous le pont Wilson à Tours, le 9 décembre 2003, avec en bas la montée d'eau de la crue de ce jour là (à 3,40 mètres, d'après le tableau ci-dessus) |
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Sur la levée de la Loire, à Conneuil, une stèle... Dans la NR du 12 décembre 2012, l'historien Michel Laurencin signalait qu'il était "urgent de procéder à un entretien du monument". Qu'attend-on ? |
En effet, le pôle d'activités de la région est d’autant plus vulnérable qu’il est stratégique et attractif. Les systèmes de protection - digues et barrages -, et l’urbanisation des espaces inondables ont, en procurant un sentiment de sécurité, contribué à la perte de conscience du risque d’inondation. [...] 300 000 personnes, dont plus de 80 % en région Centre, résident dans ces zones à risques le long du fleuve, soit dix fois plus qu'au XIXe siècle. La population exposée au risque ignore le plus souvent le danger qu'elle court. Cet étalement urbain se traduit par le développement des constructions pavillonnaires, des zones d'activités, des grandes surfaces commerciales, des espaces de loisirs et d'équipements divers reliés entre eux par des routes nouvelles. En 2000, l’agglomération d’Orléans comptait 53 300 habitants situés en zone inondable, celle de Tours 127 700 habitants, avec des communes inondables à 100 % comme Saint-Pierre-des-Corps, la Ville-aux-Dames ou la Riche. À Blois, 5 200 habitants résident en zone inondable, à Gien, ils sont 2 500. [...] Une pollution généralisée de la Loire est tout à fait possible lors d’une crue forte qui conduirait à une inondation des stocks de matières polluantes non mises à l’abri. Après la décrue, les sources de pollution potentielles sont nombreuseslibération des stocks atteints, destruction des réseaux d’assainissement, dysfonctionnements des stations d’épuration pouvant compromettre l’alimentation en eau potable. Certains dommages directs ou indirects n'ont pu être encore évalués (atteintes aux réseaux EDF, France Télécom et SNCF, au patrimoine naturel et architectural, conséquences sociales). |
En attendant, en mai prochain, ce sont 1.100 mètres de digues à Saint-Pierre-des-Corps et 900 mètres à Montlouis qui seront traitées. Une machine de 4,60 m de largeur creusera entre 8 et 10 mètres de profondeur pour malaxer la terre et y injecter un liant de façon à consolider l'écran entre le fleuve et le bassin de vie. |
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Vers 1995 en bas étiage : ci-dessus la Loire à Montlouis (amont de Tours), ci-dessous le Cher à Tours, vu du pont du Sanitas |
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Tours 2003. Ci-dessus, la Loire le 3 septembre, avec au fond le pont de Fil. Ci-dessous, trois mois plus tard, le 9 décembre, trois photos au même endroit, entre ponts Wilson et de Fil, lors d'une crue de probabilité "fréquente" |
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- C'est totalement exclu. Toute la zone doit être évacuée. Les ordres sont stricts. Et puis si votre maison ne tenait pas le coup, hein ! [...] Elle sait bien que, cette fois, elle va devoir s'incliner. Elle l'a lu sur le journal, entendu à la radio, vu à la télé. Il n'y aura rien de négociable. [...] La vieille femme, qui sait bien, au fond d'elle-même, qu'elle va devoir partir, a d'ailleurs passé la matinée à monter à l'étage tout ce qu'elle pouvait porter elle-même. Des volontaires l'aideront à monter lave-linge, réfrigérateur, cuisinière et meubles situés au rez-de-chaussée de sa vieille maison. Tout devrait tenir, en haut, même s'il va falloir démonter une armoire pour pouvoir la passer dans l'escalier. Quant au congélateur, il faudra le vider et tout jeter. ["Le jour où la Loire débordera...", par Michel Varagne, éd. CPE 2003] |
Tours, le 8 décembre 2003. Ci-dessous l'île Aucard, au premier plan, à fleur d'eau, inconstructible, construite et habitée... |
Ponts sur le Cher le 6 février 2013 : ci-dessus celui du tramway (l'Est au fond) et ci-dessous celui Saint Sauveur (l'Ouest au fond), alors que les eaux sont hautes sans que l'on soit en phase d'inondation. Depuis 1980, le chemin à droite de la photo du haut a été largement recouvert par les eaux, à plusieurs reprises. Le tablier de ce pont construit en 2011 est situé plus bas (1 m à 1,5 m) que le haut de la digue Le lecteur peut comparer cette photo avec la première de la page, correspondant à une crue de la Loire beaucoup plus forte. N'y a-t-il pas lieu de craindre que le Cher soit devenu plus dangereux que la Loire ? |